L’Union européenne à Strasbourg, une aberration ?

L’Union européenne à Strasbourg, une aberration ?

Par Fabrice Hinschberger

Depuis plus de soixante ans, Strasbourg symbolise à elle seule la réconciliation franco-allemande et au-delà, la paix retrouvée en Europe. En cela, cette ville incarne à elle-seule le ciment et la raison d’être de l’Union européenne. Si on a fait l’Europe, c’était pour gagner la PAIX. Sans cette volonté commune de faire la paix après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe n’aurait jamais existé. Le Parlement européen constitue une véritable mosaïque des peuples d’Europe, aujourd’hui unis dans la diversité, mais qui se sont fait la guerre jadis, pendant des siècles. Strasbourg porte donc l’histoire de la construction européenne, elle porte notre Histoire commune. Incontestablement, la paix habite à Strasbourg. Aucun État, aucune organisation au monde ne tourne le dos à son histoire, ne renie ses fondements et ses valeurs fondamentales. Dès lors, ne nous faisons pas voler notre histoire européenne commune, au nom du confort d’une poignée d’eurocrates ! La paix est en outre un concept plus que jamais d’actualité. Il suffit d’analyser ce qui se passe dans le Caucase et ce qui a déjà eu lieu au Kosovo pour comprendre que la paix reste encore largement à gagner sur notre continent.

Mais, au-delà du symbole, Strasbourg est aussi le siège d’une certaine conception de l’Europe. Quand Bruxelles incarne la machine à réguler le marché unique (ce qui n’est pas contestable en soi), Strasbourg porte le projet politique européen, celui auquel les Européens aspirent. Quand le monde regarde l’Europe des libertés, l’Europe des droits de l’homme, il regarde vers Strasbourg. Si le Parlement européen abandonne Strasbourg, ce ne sera peut être pas la fin de l’Union européenne, mais ce sera sans aucun doute la fin de l’idée européenne.

De ce fait, Strasbourg est le laboratoire politique de l’Europe. Après l’œuvre magistrale du Conseil de l’Europe, de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et du Parlement européen, la ville invente et construit aujourd’hui son eurodistrict, véritable territoire européen englobant Strasbourg (France) et Kehl (Allemagne) et où la conception de l’Europe des peuples prendra tout son sens. Cette nouvelle structure, qui régira la vie d’habitants jadis ennemis, pourrait devenir un modèle pour les autres zones transfrontalières du monde qui, comme Strasbourg il y a moins d’un siècle, sont encore en guerre aujourd’hui.

La ville s’est au fil des années érigée en capitale incontestable de la démocratie parlementaire européenne. Personne ne dispute à Bruxelles son statut de capitale de l’exécutif européen (Commission) ! A Luxembourg son statut de capitale judiciaire (Cour de Justice des Communautés Européennes) ! A Francfort, son rôle de capitale financière (Banque Centrale Européenne) ! Alors ne contestons pas à Strasbourg son siège du Parlement européen.

Strasbourg est aussi une réponse à l’euroscepticisme ambiant : crise institutionnelle, référendums négatifs sur l’avenir institutionnel de l’Union européenne… Strasbourg est la seule capitale européenne où l’Europe s’incarne, où elle devient abordable pour le citoyen européen, et, surtout, où elle se rend familière et ne lui fait pas peur. Car le projet européen s’est déployé à Strasbourg, la ville où Allemands et Français se sont retrouvés. L’endroit où les Hommes ont mis un terme à la division fratricide et ont aboli cette chose insensée que Hannah Arendt a appelé « la banalisation du mal ». Le jour où, à Strasbourg, en 1979, Madame Simone Veil, rescapée de la Shoah, a été élue Présidente du Parlement européen, l’Europe a véritablement gagné son âme. C’est pourquoi nous mettons quiconque au défi de se rendre un jour dans le quartier européen de Strasbourg sans en revenir meilleur et animé du désir de bâtir une Europe de Paix. Ne prenons pas le risque d’éloigner davantage le citoyen européen des institutions européennes. Tout regrouper à Bruxelles serait interprété par ce citoyen comme un repli des institutions sur elles-mêmes, un enfermement du système européen au sein d’une forteresse coupée des peuples.

Refusons une centralisation excessive des institutions européennes à Bruxelles et plaidons au contraire pour un polycentrisme décisionnel européen. Tout centraliser à Bruxelles serait vécu comme une initiative archaïque, puisqu’en construisant l’Europe, on a justement cherché à s’éloigner du modèle classique de l’Etat Nation (qui a montré ses limites dans l’histoire), avec une capitale qui centralise tout et décide de tout. Déconcentrons le système ! L’éloignement des institutions n’affectera en rien la qualité du contrôle du Parlement européen sur la Commission européenne. D’autres États du monde, comme l’Afrique du Sud, ont su montrer que le contrôle parlementaire sur le gouvernement était parfaitement opérationnel, ces deux organes étant pourtant séparés de plus de 1000 kilomètres. De plus, à l’heure de la dématérialisation des documents, de la numérisation des contenus et de la démocratisation des vidéoconférences, l’argument d’un Parlement qui ne pourrait être efficace sans être « sous les fenêtres » de la Commission européenne est, pour le moins sans fondement, au pire mensonger.

Ce dernier argument que nous venons d’évoquer est primordial. Car en plaçant le siège du Parlement Européen en 1958 à Strasbourg, ville biculturelle ayant changé quatre fois de nationalité en moins d’un siècle en raison de la division des Hommes, les pères fondateurs de l’Union européenne en ont fait la ville-symbole de la réconciliation et le cœur de notre continent. Nous ne pouvons pas ignorer cet aspect des choses lorsque l’on évoque le siège du Parlement européen et c’est pourquoi nous nous sommes engagés dans l’association One City, qui milite pour que le siège du Parlement européen reste à Strasbourg et qu’à terme l’intégralité de ses activités y soit regroupée.

 

En y consacrant l’essentiel de notre temps libre et l’ensemble de nos forces…

Fabrice pour les JCA

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